Le calumet de John

I


Ce jour là, lors d’un pow-wow réunissant presque toutes les tribus – dans toute dynamique il est des tiédeurs – le référendum a enfin pu se concrétiser. Cela avait été long, cela avait demandé des conciliabules jusqu’aux portes du matin, il avait fallu faire œuvre de persuasion. Le peuple indien était un peu endormi depuis quelques décennies.

L’intitulé était curieux, aucune question n’était posée. Juste deux réponses. « ASSEZ » et « ON CONTINUE DANS NOTRE APATHIE ». Inhabituel, même chez les indiens. La campagne avait été brève, efficace diraient certains. Aucun sondage n’avait été effectué, et aucune explication n’était proposée. Seul manière de garder son libre arbitre et d’être le seul maître de son choix. Pas un politologue, pas une analyse, aucun journaliste. Chacun devait voter avec son cœur. La consigne avait été donnée aux hommes de ne pas retourner chez eux, pour leur interdire d’imposer leur décision de guerrier fantasmé à leur femme et à leurs enfants. Et oui, il n’y avait pas d’âge minimum pour cette votation. Les papooses et les anciens avaient le même poids.

Personne aux Etats Unis ne s’intéressait à ce référendum, sans enjeux pour les petits blancs bien ventilés par leur bannière. Les premiers américains, derniers à avoir acquis le droit de vote, n’avaient jamais eu d’importance dans le pays. Ils font partie du folklore. Et puis notre société les a bien rétribués, ce n’est pas rien les casinos, ce n’est pas offert à tout le monde. Ils devraient être reconnaissants. On n’allait pas prêter une oreille à une quelconque revendication sur un site d’ensevelissement d’ancêtres, ou encore sur la pollution de leurs réserves, pardon, de leur habitat.

Cela, d’ailleurs, arrangeait fort bien les instigateurs du référendum, ils pouvaient pousser leur pierre dans une atmosphère de dédain total.

La réponse fut « ASSEZ » à une majorité aujourd’hui enviée par tous les despotes de la terre, pourtant sans aucune tricherie. C’était juste le moment, la coupe débordait, les rancœurs étaient présentes depuis fort longtemps.

Après avoir fêté comme il se doit le résultat, ils commencèrent à réfléchir à la manière de mener leur projet jusqu’à son aboutissement. Heureusement l’argent récolté dans les casinos était là pour les aider. Ils avaient acquis une autonomie financière confortable et ils avaient le droit pour eux.

Avant toutes choses il leur fallait choisir un homme pour incarner le nouveau visage de leur nation. Cela fut difficile, pas de candidat déclaré. Il n’entrait pas dans la nature des indiens de diriger au delà de leur tribu, cela ajouté à une longue infantilisation.

Après bien des tergiversations, chacun y allait de sa recommandation, ils optèrent pour John Petit Siège. Oh ce n’était pas le plus intelligent, ni le plus instruit, mais il était malin et il portait beau, et il était maire de sa petite ville, et il avait la parole aisée. C’était là son don. Il animait les veillées en narrant les légendes des aïeux, faisant perdurer des rêves pourtant décédés.

Il était également guide, il faut bien manger. Il n’était pas rare qu’il entête l’esprit des touristes dans des contes qui duraient bien après l’agonie du feu de camp. Evidemment il n’avait pas le sens de la répartie, mais tout s’apprend. Excepté le charisme, heureusement il avait le bonheur d’en avoir hérité d’un lointain ancêtre. Obligatoirement, sa famille proche était bien pâlotte. Et surtout il avait l’extrême avantage d’avoir été épargné par l’alcool. Sa famille avait toujours eu des réticences pour ce cadeau offert par l’envahisseur fourbe. Pas une trace d’oubli dans ses gènes.

John Petit Siège ne comprit pas pourquoi il avait été choisi, il avait passé sa vie caché dans l’ombre apaisante de ses contes et il savait n’avoir pas l’aura d’un héros. Le Conseil, loin de l’éclairer, lui dit de profiter du moment présent, l’explication viendra par la suite, pour le moment abandonne-toi au plaisir. Le Conseil lui avait également dit qu’il était désormais le réceptacle des espoirs de toute la nation indienne, même les plus tièdes, ils se rallieront à un moment ou à un autre. L’homme, même indien, reste ce qu’il est, toujours à suivre lorsque l’odeur de la réussite embaume l’air.

Avant la grande explication, il devra faire une retraite à la source de la création des peuples indiens. Une bien belle source, pas encore polluée par les promoteurs avides de désherber chaque racine. Là-bas il devra ouvrir tous les pores de son âme afin de laisser entrer les paroles du Grand Sachem. A son retour l’explication sera ainsi devenue plus simple. D’ailleurs si John pouvait demander au Grand Manitou de lui fournir quelques pistes afin d’acquérir le sens de la répartie, cela ne serait pas inutile. Il serait appréciable de gagner du temps.

Le départ sera pour demain, à l’aube. Willy Bœuf Débonnaire lui montra le chemin. En attendant il est l’heure de fumer un calumet bien peu orthodoxe afin de l’aider à ouvrir les portes de la connaissance.


Quelques temps avant la Grande Décision le conseil des Anciens avait compris l’évidence, pourtant restée coite jusqu’alors. Jamais encore les indiens n’avaient eu de représentant à un poste en vue. Personne n’avait imaginé cette éventualité. Alors quelques uns avaient eu l’idée de former un des leurs afin de le présenter au poste de gouverneur. Un bon début. Ensuite on pourra envisager d’aller voir plus haut.

Dans ce pays toutes les couleurs politiques avaient été représentées, beaucoup de facettes de l’humanité également. De bien belles facettes parfois. Des va-t-en-guerre, des pragmatiques, un acteur, des militaires, un handicapé, des obsédés, un métis, des grenouilles de bénitier. Des criminels de guerre. Une femme avait presque réussi. Jusqu’à un idiot rassemblant à peu près toutes les tares de ses prédécesseurs, sans oublier d’en ajouter de nouvelles. Pour l’histoire.

Il manquait encore un communiste, un utopiste, un américain du Sud et un indien. Les latinos ont le temps, ils sont les derniers arrivés. C’est au tour des indiens, ils ont une grande connaissance du pays.

Ils ont les moyens financiers, ce n’est pas rien les casinos, ne manquait plus que l’ambition et un homme empli de charisme. John Petit Siège devrait faire l’affaire.



II



John Petit Siège avait bien profité de sa retraite, il était revenu empli d’idées. Il faut dire qu’il avait emmené plusieurs calumets. Le temps peut paraître long lorsqu’il s’agit de retrouver un filament d’âme indienne, d’autant qu’elle n’est plus enseignée depuis fort longtemps.

Trois jours après son arrivée, le Grand Manitou, après un temps d’observation, était venu partager avec lui. Il n’avait plus rien à faire depuis plusieurs décennies. Plus personne ne songeait à le consulter, les casinos et la télévision étaient devenus les nouvelles racines, ainsi que l’outrance dans l’alcool. C’est bien pour cela qu’il avait perdu l’habitude de fumer le calumet, c’est bien pour cela qu’il ne pu tenir sa langue bien longtemps. Il n’avait rien d’autre à faire que d’espionner ce qui restait de son peuple, il pu ainsi raconter à John le plan des Anciens.

Evidemment cela avait déplu à John Petit Siège, il n’avait rien demandé à personne, sa vie lui convenait, il avait mis tant de temps à la construire. Il se mit dans une rage effrayante. Le Grand Manitou, plus habitué, s’était enfui sans demander son reste. John désirait juste rester dans son environnement, juste raconter ses histoires et ses rêves sous les étoiles. D’autant qu’il devait consacrer deux jours par semaine à sa mairie, c’était déjà beaucoup de pris sur la vraie vie. Un poste de gouverneur c’est du temps passé à la grande ville, là où on ne voit plus les étoiles, et très peu de vacances.

Mais peut-on refuser la décision des Anciens ? Assurément non lorsque l’on passe sa vie à narrer les légendes de son peuple.

Heureusement il restait encore quelques calumets pour le détendre, pour l’aider à accepter son destin. Un fut facétieux, il lui mit une idée bien étrange dans la tête, pas une idée neuve, mais tellement délectable. Contre toute attente cela a amusé John Petit Siège.



III



De retour devant le conseil des Anciens, après les congratulations d’usage, John Petit Siège parla immédiatement. Il ne voulait pas prendre le risque de se laisser assoupir par des palabres sans fin, surtout qu’il ignorait encore s’il avait acquis le sens de la répartie.

Il leur raconta sa rencontre avec le Grand Manitou, persuadant par là même de son existence les plus incrédules, dans chaque assemblée un mécréant se terre. C’est d’ailleurs leur Dieu qui lui a rapporté leur plan, si ce n’est pas une preuve ça. Je suis d’accord, leur avait-il assené sans utiliser d’ambages, je suis d’accord mais je choisirai le chemin. Notre Sachem suprême m’a indiqué la voie, il m’a expliqué qu’il était grand temps de ne plus nous laisser faire. Il m’a accordé sa bénédiction, il m’a dit que mon âme savait, à moi de lui offrir la parole, à moi de la débusquer. Je l’ai cherchée trois jours et trois nuits durant. Au petit matin du quatrième jour elle a compris que j’étais pur, que j’étais la solution. Elle m’a ouvert son cœur. Elle m’a dit : « A toi de voir, cela demandera du courage, tu risqueras ton intégrité et ta vie, mais j’ai confiance. Tu peux le faire. Tu peux nous redonner cette fierté enfouie sous des litres de saoulerie et de compromissions ». Alors j’ai cherché en moi le chemin. J’ai oublié mon état de simple être humain et j’ai trouvé. La source de l’âme indienne a décidé de ma campagne, la présidentielle - je sais, vous n’aviez pas envisagé de voir aussi loin – sera axée sur le renvoi de tous les blancs dans leurs pénates d’origine. Le moment est idéal, ils sont en minorité et ils ont fait assez de mal comme ça, principalement aux noirs. Nous, nous sommes devenus invisibles, ils ne ressentent plus le besoin de nous persécuter. Ils pensent nous avoir définitivement matés.

Maintenant parlons de la stratégie. Je pense pouvoir facilement persuader les noirs de voter pour nous, j’ai trouvé la corde sensible à gratter. Il ne faut pas aller sur le plan de l’histoire et des persécutions, cela risquerait d’amener des marchandages sur l’échelle de l’horreur, et ça ce n’est pas constructif. Non. Nous pourrons parler de nos tribus et de notre musique ancestrale pas si éloignée du blues. L’histoire de deux peuples aux modes de vie somme toute équivalents. L’histoire de deux peuples déracinés. L’un dans un monde inconnu et violent, l’autre avalé par une branche féroce de l’humanité. Et ce n’est pas là du cynisme. Pour les latinos cela sera plus difficile, je ne les connais pas bien, mais ils sont beaucoup, donc nécessaires. Et ce n’est toujours pas du cynisme. Il faudra se renseigner sur leurs coutumes. Je vais d’ors et déjà apprendre l’espagnol, cela pourrait être un atout capital. Ensuite on verra, lors de mon second mandat, ce que nous ferons d’eux. Les garder ou pas. Nous replier sur nous même ou alors offrir quelques alliances, voire des territoires. C’est une question difficile, politique et philosophique. Cela sera le travail du conseil des Anciens.

Ah une dernière chose, je n’ai pas encore trouvé le sens de la répartie, mais je pense avoir trouvé la solution. Il me suffira d’attaquer toujours et encore, ainsi je n’aurai pas besoin de répondre.

Mes frères, notre moment est arrivé. Attaquons-nous à l’élection sénatoriale et le reste coulera de la source de l’âme indienne.


Les Anciens furent interloqués, aucun n’avait osé rêver si loin, même dans des délires éthyliques. Beaucoup furent outrés. Ils désiraient avoir un représentant, un porte-voix, juste une image enfin visible et quasiment muette. Tout cela leur semblait un délire total, c’était inimaginable, d’autant qu’ils devaient leur aisance aux blancs. Les casinos ce n’est pas rien. Il faut bien avouer, sans en éprouver une quelconque vergogne, qu’ils avaient été infantilisés depuis nombre de générations, et acculturés, et copieusement abreuvés. On peut aisément les comprendre. Heureusement quelques autres conservaient des restes de facétie dans leur esprit, cela les a amusés. D’autant qu’ils s’ennuyaient à compter leurs dividendes à longueur de journées. Leur culture avait failli périr corps et âme dans les vapeurs de l’oubli, heureusement un gène dissident avait conservé quelques lambeaux de leur histoire. Ils tenaient à les divulguer, quitte à les enjoliver, quitte à mentir un peu, et la folie de John Petit Siège pourrait les aider. D’autant qu’il n’avait guère de chances de réussite. Cela ne portait pas à conséquence, jamais il ne sera élu avec un tel manque de clientélisme.

Les discussions entre apeurés et amusés ne tardèrent pas à prendre une ampleur assourdissante. Chacun étouffait la parole de l’autre. Comme chez les blancs. Désolant spectacle. Certains se sont même battus, mais ils étaient ivres, cela n’avait donc guère d’importance. Demain sera un autre jour. Demain tout sera ensablé dans des céphalées. Pensez donc, l’alcool ajouté à la réflexion c’est dévastateur. Heureusement John Petit Siège, bientôt renommé Guêpe Maline, avait anticipé l’émoi amené par son discours. Il avait apporté du tord-boyaux de qualité, en quantité suffisante. Cela a aidé à calmer les esprits. Cela a ouvert les esprits. Cela lui a permis de définir son plan devant une assemblée enfin coite et attentionnée. A la fin de la nuit, lorsque le soleil vint sermonner les yeux fatigués, ceux qui avaient la dignité d’avoir leurs fesses encore collées au sol applaudirent John Petit Siège. Ils étaient conquis. John avait été convaincant, comme quoi l’alcool a parfois du bon. Comme quoi John avait déjà compris comment se fabrique la politique.

Il restait encore à mettre cela sur le papier et à former une équipe de combat. John décida d’attendre trois ou quatre jours afin que les maux de tête ne soient plus un obstacle.

Il avait un plan précis. Les employés de sa mairie l’aimaient beaucoup et devraient le suivre, ne restait plus qu’à nommer quelques anciens et quelques sachems. Il faut savoir flatter si l’on veut faire un clin d’œil aux spots de la victoire. Il faut dire que le Grand Manitou l’avait parfaitement conseillé, il avait eu le temps de réfléchir depuis qu’il parcourait seul les grandes plaines désertées.



IV



La campagne sénatoriale se déroulât sans anicroche notable, John Petit Siège était fort bien vêtu, et il avait l’aisance chevillée au corps. Contre toute attente il se sentait dans son élément, et aucun de ses discours n’avait tenté d’utiliser le chemin tant usité de la polémique. Il avait compris comment parler des choses importantes de manière subliminale. Les votants, blancs pour la plupart, n’étaient plus équipés de la réflexion permettant d’entrevoir une once de filouterie, ou un projet de sédition. On pourrait ajouter à cela que John était devenu une curiosité, le premier indien à avoir une chance d’être élu. Il était très bien vu de se pavaner à ses côtés, d’autant qu’il ne semblait pas vouloir renverser le système, il désirait certainement avoir accès à une miette du fameux rêve. Il devait être reconnaissant pour les casinos, et pour le reste. Normal, on n’a pas donné cette sinécure à tout le monde. C’est impossible d’offrir ça de bon cœur aux noirs, notre culpabilité n’est pas suffisante pour nous faire descendre aussi bas. Et puis on a déjà élu un métis pour président, cela suffit amplement à notre rédemption. Et pourtant leur communauté est trop égoïste pour nous remercier. Cela avait eu l’avantage heureux de présenter une magnifique image au reste du monde. Vous voyez, nous sommes enfin capables de regarder notre histoire dans les yeux et de donner à nos hôtes premiers une belle place, méritée. Prenez-en de la graine, vous les vieux pays du vieux monde. Nous sommes toujours à la pointe de la démocratie. Nous sommes Les Démocrates.

John Petit Siège était aux anges, il sentait qu’on allait lui donner la victoire, et cela sans qu’il fasse de compromission ni de promesses. Juste parce que c’était le bon moment. Ensuite il suffira de ne pas faire de vagues jusqu’à l’élection présidentielle. Evidemment il ira sans passer par des primaires, il laissera les deux vieux partis se déchirer devant les caméras pendant qu’il ira composer avec toutes les communautés, toujours traitées de minoritaires, injustement lorsque l’on sait compter. D’ailleurs il commencera à s’en occuper dès qu’il sera sénateur. Foin de la modernité, foin des ordinateurs et d’internet, John ira physiquement proposer son programme à tous les exclus, à tous ceux qui ne sont pas totalement blancs.



V



Evidemment tous ses nouveaux amis votèrent pour lui, John Petit Siège fut élu sans contestation possible. Chacun était persuadé de pouvoir tirer un quelconque avantage, quel sénateur n’est pas achetable ?

John jouât le jeu pendant la première partie de son mandat, il n’était pas question de se dévoiler. Il fit beaucoup de promesses, sans rien accepter ni donner, il ne voulait pas être pris en défaut par la suite. Pas de compromission avec les blancs, et surtout aucune amitié réelle.

Pendant ce temps son équipe allait rencontrer les gens de pouvoir des autres communautés, discrètement, et toujours pendant la journée. Traditionnellement les complots ont lieu la nuit, les services paranoïaques de l’état ne pourraient ainsi pas imaginer avoir à faire à un plan machiavélique. Il faut être voyant pour rester discret dans ce pays étrange.

John, quant à lui, paradait, John inaugurait, John souriait, John serrait des mains, John dînait, John se laissait courtiser, John était la coqueluche. Des journalistes de New-York venaient l’interviewer, des scénaristes d’Hollywood lui proposèrent des sommes parfaitement malhonnêtes afin de narrer sa vie. John accepta les journalistes, pas les caméras, ce n’était pas encore le moment et sa communauté possédait suffisamment d’argent pour la suite du projet. Les casinos, ce n’est pas rien.


Rapidement John fut connu dans toute l’Amérique. La vraie, celle du Nord. Ce qui est un fameux avantage pour la campagne à venir, cela évitera quelques dépenses. Les ralliements se multiplièrent au gré de l’avancée de la notoriété. Toutes les communautés le rejoignirent. Une toute petite partie des latinos également, pas suffisante, ils avaient encore l’ambition d’avoir un représentant à leur image. Heureusement John Petit Siège était doué pour les langues, il avait appris l’espagnol. Malheureusement il dut prendre le risque d’aller les rencontrer personnellement. Son charisme fit merveille, il les convainquit de la rejoindre, ensuite leur tour viendra, ensuite il leur apportera son aide et son image. Evidemment il dut promettre quelques postes prestigieux, dont celui de vice-président. Tout était bon, John avait compris que parfois il ne faut pas avoir d’état d’âme, quitte à mentir un peu. Après tout il en avait le droit, il n’était pas blanc.

Contre toute attente son plan s’était déroulé à merveille. Après une campagne atypique, après que les deux grands partis se soient déchirés à grands coups de mensonges bien trop irréels, un grand dégoût s’était exposé de toute la nation américaine. Beaucoup de blancs avaient voté pour John. Ils ne croyaient pas à la possibilité de sa mesure emblématique, mais quitte à élire quelqu’un autant choisir le mensonge le plus fantastique. L’Amérique vota massivement pour cet homme qui avait promis de les renvoyer dans leurs pénates d’origine. D’ailleurs certains en rêvaient, il faut dire qu’ils avaient conservé quelques attributs de leur nation première dans ce pays de tribus sans pareil.


Dès son entrée à la Maison Blanche, John Président Ecarlate signa son décret, sa seule promesse. Oh il ne le fit pas devant une forêt de caméras, il ne voulait pas prendre le risque de se heurter à un petit juge en quête de notoriété. Le temps pressait et son entourage politique lui était acquis, très fiable, au moins le temps de la lune de miel.

Le soir même il reçut tous ceux qui comptaient dans la nation indienne, il organisa le premier pow-wow de l’histoire de Washington. Le contenu des calumets avait une saveur encore jamais dégustée, comme quoi le pouvoir peut avoir du bon. La Maison Blanche a vibré toute la nuit au son d’une mélopée entêtante, envoutante.

Le lendemain John Président convoqua les mormons afin de mener les recherches généalogiques, et tout ce que le pays comptait d’hommes-médecine pour lancer une campagne ADN hors normes. Il leur accorda cent jours, chaque blanc, même à un pour cent, devait être testé, identifié, et son pays d’origine localisé dans ce délai. Ensuite il réserva tout ce que les Etats Unis, ainsi que les pays affidés, comptaient de bateaux pour le cent-unième jour. Le jour du début de l’opération Reconquête, le jour du retour aux sources pour les deux parties. Tout devait être terminé un mois plus tard, John Grand Président était impatient de mener sa tâche afin de pouvoir retourner à ses amours premières. La nature.

Il laissa aux expulsés la possibilité de régler leurs affaires, de vendre leurs biens et d’emporter le contenu de leurs comptes en banque. John avait du cœur, il ne désirait pas les ruiner. Et puis les indiens possédaient les casinos, les expulsés pourraient toujours revenir, avec un visa touriste, afin de dépenser leur argent. Histoire d’avoir la sensation de se venger.

Evidemment tout cela ne fut pas simple, John Président Ecarlate dû faire appel à l’armée, certains ne faisaient pas preuve de bonne volonté. Un peu comme s’ils étaient chez eux, un peu comme s’ils n’avaient jamais eu conscience d’avoir spolié un peuple, un peu comme s’ils n’avaient jamais pensé à remercier pour les terres dérobées. Un peu comme s’ils ne connaissaient pas l’expression « Trop tard ». Il y eu nombre de difficultés, heureusement les frères du Canada vinrent prêter main forte à John.


Il y eut tout de même un peu de retard, cela avait demandé cinq mois pleins pour renvoyer tout le monde. Evidemment certains avaient réussi à se terrer, évidemment on avait gardé les rares amis de la nation indienne. Dans toute éradication il reste des survivants, parfois même pour un siècle ou deux. Heureusement jamais assez nombreux pour être une menace.



VI



Depuis les blancs dérivent sur toutes les mers du monde, aucun pays d’origine n’accepta de recevoir une telle masse d’étrangers, ni même à se les partager.